Le lent chemin de la mobilité autonome

Pour faciliter les déplacements des personnes aveugles et malvoyantes, il est nécessaire de renforcer l'accessibilité de la voirie et des transports. Les collectivités territoriales sont en première ligne pour répondre à cet enjeu majeur, gage de cohésion sociale. Il leur revient, notamment, d'agir au côté des exploitants de réseaux, des associations et des entreprises du numérique pour exploiter la richesse des données collectés dans l'espace urbain.

D’après l’enquête Access’Lab 2021, 73 % des déficients visuels rencontrent des difficultés pour leurs déplacements habituels et l’accès aux lieux publics.

L’expression peut être source de confusion. Pour une personne en situation de handicap, parler de mobilité autonome n’a rien à voir avec les véhicules qui circuleront un jour sans intervention humaine. C’est une notion qui renvoie à la possibilité de disposer d’outils fiables et adaptés pour calculer et préparer un itinéraire, quotidien ou ponctuel, afin de se déplacer en toute sécurité.

En France, la loi d’orientation des mobilités (LOM) du 24 décembre 2019 a introduit différentes mesures visant à concrétiser cette ambition inclusive. Les avancées concernent, notamment, l’accessibilité des réseaux de transports publics, la définition de tarifs préférentiels pour les accompagnateurs, le déploiement d’une plateforme unique de réservation afin d’organiser les services d’assistance en gare, également l’accessibilité des espaces publics avec l’obligation d’informer sur les itinéraires accessibles grâce aux systèmes d’information multimodaux et de guidage à proximité des arrêts.

L’accessibilité des itinéraires pédestres en voirie est également l’objet d’actions de progrès. « C’est sans doute là que résident les besoins les plus forts pour la mobilité des déficients visuels, estime Carole Guéchi, déléguée ministérielle à l’accessibilité au ministère de la Transition écologique. Avec le boom des engins de mobilité douce, qui circulent le plus souvent sans bruit et sur des aires pas toujours faciles à comprendre, il est urgent de renforcer les dispositifs de guidage. » La mise en accessibilité des espaces publics passe, pour une part, par un travail de normalisation. Son but est d’expérimenter des solutions de guidage et, en cas de succès, de les généraliser à grande échelle. Pour illustration, différents systèmes tactiles destinés à sécuriser les traversées de chaussée ont été testés à Paris. Le bilan sera bientôt formalisé en lien avec les associations.

Les données, source d’applications à haute valeur ajoutée

Les données sur l’accessibilité constituent un autre point majeur. Car, sans renseignements fiables, complets et actualisés sur les aménagements déjà réalisés et les possibilités de cheminement, la ville s’apparente à une succession d’écueils pour les personnes aveugles et malvoyantes. Pour répondre à cet enjeu, la LOM oblige les gestionnaires de voirie et les autorités organisatrices des mobilités à créer des bases de données respectant des standards réglementaires, afin de décrire physiquement l’accessibilité des transports et de la voirie sur les 200 mètres autour des arrêts définis comme prioritaires. L’information doit être mise à disposition du public en open data afin de nourrir des calculateurs d’itinéraires ou autres outils d’aide à la mobilité. « Il s’agit de missions complexes pour lesquelles nous apportons un accompagnement sous la forme d’un site Internet, d’un guide pratique et de webinaires. Depuis un peu plus d’un an, nous avons ainsi délivré des conseils de méthode et des éléments de retour d’expérience auprès de centaines d’acteurs en Pays de la Loire, Bretagne, Auvergne-Rhône-Alpes, et Occitanie », confie Carole Guéchi. De la même manière et afin de couvrir toute la chaîne de déplacements, l’État a également développé un outil pour renseigner et informer sur l’accessibilité des établissements recevant du public (ERP) : acceslibre.beta.gouv.fr. Sur ce site, chaque usager pourra trouver les informations pratiques lui permettant de savoir s’il peut accéder en autonomie ou pas à un commerce, un restaurant, une gendarmerie, etc.

Le guidage a besoin de continuité sur toute la durée des trajets

À travers les démarches lancées pour faciliter la mobilité autonome des personnes aveugles et malvoyantes, une des promesses du concept de « smart city » prend corps pour améliorer la qualité de vie de tous les habitants et usagers en utilisant les technologies numériques. Mais pour que ces dernières livrent tout leur potentiel, il est nécessaire d’intégrer les problématiques liées à la déficience visuelle dès l’amont des projets. « Dans le train, par exemple, la sonorisation des portes est un enjeu spécifique. Il doit être pris en compte dans le cahier des charges soumis aux constructeurs de matériels », observe Carole Guéchi. Qui plaide, également, pour l’introduction de modules sur l’accessibilité dans la formation des futurs ingénieurs, architectes ou professeurs des écoles afin que cet enjeu soit mieux intégré dans les projets ou les cours qu’ils auront à structurer.

Rappel chronologique

Les ministères de la Transition écologique et solidaire, d’une part, de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, d’autre part, sont chargés des politiques publiques destinées à aider les personnes en situation de handicap à conserver leur autonomie dans leur mobilité. À cette fin, deux outils ont été créés par l’ordonnance du 26 septembre 2014 : les agendas d’accessibilité programmée (Ad’AP) pour le cadre bâti et les schémas directeurs d’accessibilité (SD’AP) pour les transports. Les premiers ont pour objectif d’inciter les établissements recevant du public (ERP) à se mettre aux normes d’accessibilité dans le cadre d’une démarche de programmation et de budgétisation. Même si le dépôt des Ad’AP s’est clôturé en mars 2019, beaucoup d’établissements continuent à les mettre en oeuvre. L’effet est incontestable puisque 700 000 ERP sont entrés dans le dispositif entre 2015 et 2019 contre seulement 50 000 rendus conformes entre 2005 et 2015. À noter que la voirie n’est pas concernée puisqu’elle dépend du PAVE – plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics. Les SD’AP, pour leur part, sont d’application volontaire. La quasi-totalité des autorités organisatrices des transports et de la mobilité en ont déposé un. Pour prendre un exemple, 209 gares doivent être rendues accessibles en Île-de-France d’ici 2024-2025 ; à fin 2021, les travaux avaient été réalisés sur 121 sites.

Plus d’infos sur ecologie.gouv.fr/politique-de-l-accessibilite

Témoignages des représentants des start-up

Arthur Alba, fondateur de Streetco

Simplifier et fiabiliser la collecte des « Streeters »

« Notre solution est une application GPS piétonne, adaptée aux déplacements des personnes en situation de handicap. Sa particularité est d’être collaborative. Parmi les 25 000 utilisateurs mensuels, environ la moitié utilise l’appli pour faire des signalements. Aujourd’hui, nous travaillons sur l’intelligence artificielle afin de rendre la collecte de données plus simple et fiable. Par exemple, nous entraînons notre modèle à faire la différence entre un échafaudage et une zone de travaux. »

Il existe beaucoup d’applications et d’outils pour permettre une navigation aisée au sein de la ville (équipement de feux sonores, signalétiques vocales et accessibles, balises audio, bandes de guidage, bandes d’éveil de vigilance, etc.). Néanmoins, et malgré les technologies disponibles, aucune aujourd’hui ne garantit un trajet continu, donc l’autonomie de déplacement pour les personnes dites « à mobilité réduite » dont les personnes déficientes visuelles font partie.

Caroline Azières, cofondatrice d’Audiospot

« Notre plateforme est compatible avec plusieurs solutions de localisation »

« Mettre en accessibilité un parcours ou un site, offrir un outil de navigation et/ou de médiation numérique pour améliorer l’autonomie et l’accueil des personnes aveugles et malvoyantes, voilà les apports d’Audiospot. En fonction du contexte et des attentes, nous pouvons proposer diverses solutions de géolocalisation, de la plus facile à mettre en oeuvre (balises Bluetooth) à la plus précise en termes de guidage (technologie AOA de détection de l’angle d’arrivée du smartphone). »

Anthony Martins Misse, Vioo

« access’lab mobility réunit quatre start-up expertes en déplacement inclusif avec un projet commun : l’intérêt général. »

Charlie Galle, N-Vibe

« L’expérimentation de notre solution de guidage indoor dans les locaux de la Fondation Valentin Haüy avance à grand pas ».

« En commercialisant notre application GPS et nos bracelets vibrants, nous avons rapidement vu une demande de nos utilisateurs déficients visuels pour un système de guidage dans les lieux fermés. Depuis deux ans, nous expérimentons un système de géolocalisation en intérieur basé sur un algorithme de machine learning [apprentissage automatique], le signal de balises Bluetooth et les capteurs du téléphone. Ce projet a débuté en collaboration avec la SNCF et a continué avec le soutien de la Fondation Valentin Haüy. Nous sommes passés de plusieurs mois à plusieurs jours pour équiper un site. La solution sera bientôt opérationnelle et, contrairement à ses concurrentes, elle permet de laisser le smartphone dans la poche ».